En 2025, des millions de personnes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ne peuvent toujours pas se procurer les médicaments dont elles ont besoin - pas parce qu’ils n’existent pas, mais parce que les brevets les rendent hors de portée. Le TRIPS, l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, est au cœur de ce problème. Adopté en 1995 sous l’égide de l’OMC, il a imposé aux pays du monde entier une norme minimale de protection des brevets : 20 ans à compter du dépôt de la demande. Pour les médicaments, cela signifie que même les traitements essentiels, comme ceux contre le VIH, le cancer ou l’hépatite C, restent bloqués sous monopole pendant des décennies, empêchant la production de versions génériques bon marché.
Comment le TRIPS a changé la donne pour les génériques
Avant le TRIPS, seulement 23 des 102 pays en développement protégeaient les brevets de produits pharmaceutiques. La plupart autorisaient les brevets de procédé : une entreprise pouvait fabriquer le même médicament en utilisant une méthode différente, sans enfreindre le brevet. C’était la base de l’industrie des génériques en Inde, en Brésil ou en Thaïlande. En 2005, l’Inde a dû changer sa loi pour se conformer au TRIPS : elle a cessé de permettre les brevets de procédé et a adopté la protection des produits. Le résultat ? Les prix des médicaments anticancéreux ont augmenté de 300 à 500 % en quelques années, selon une étude du
Lancet Oncology.
Les flexibilités du TRIPS : théorie et réalité
Le TRIPS ne dit pas que les pays doivent abandonner toute possibilité d’agir pour protéger la santé publique. Il prévoit des mécanismes, comme les licences obligatoires. Cela permet à un gouvernement d’autoriser un fabricant local à produire un médicament breveté sans l’accord du titulaire, à condition de payer une rémunération. C’est ce que la Thaïlande a fait en 2006 pour le médicament contre le VIH efavirenz. Le prix est tombé de 1 200 dollars à 100 dollars par an et par patient.
Mais voilà le piège : le TRIPS impose des conditions strictes. La licence doit être utilisée « principalement pour le marché intérieur ». Cela veut dire qu’un pays sans usine pharmaceutique - comme le Rwanda ou le Botswana - ne peut pas importer des génériques fabriqués ailleurs. Même si le pays a besoin de 100 000 traitements, il ne peut pas en acheter à l’étranger. C’est un goulot d’étranglement délibéré.
En 2003, l’OMC a tenté de corriger ça avec la « solution du paragraphe 6 ». Elle permettait à un pays sans production locale d’importer des génériques produits sous licence obligatoire par un autre pays. Mais la procédure était si complexe - des demandes écrites, des notifications, des autorisations multiples - que seulement deux pays l’ont utilisée avant 2010 : le Canada et le Rwanda. En 2016, un seul envoi de médicaments contre le paludisme a été fait grâce à ce mécanisme. C’est un système qui fonctionne en théorie, mais qui s’effondre dans la pratique.
Les « TRIPS Plus » : quand les accords bilatéraux renforcent les brevets
Le TRIPS est déjà dur. Mais les pays riches ont poussé encore plus loin avec des accords commerciaux bilatéraux. L’Union européenne, les États-Unis, le Japon - tous ont imposé des clauses « TRIPS Plus » dans leurs traités de libre-échange. Ces clauses ajoutent des barrières que le TRIPS ne demande pas : des périodes de exclusivité des données (5 à 10 ans), des extensions de brevets, des interdictions de licences obligatoires pour certaines maladies.
L’accord UE-Vietnam de 2020, par exemple, impose huit ans d’exclusivité des données. Cela signifie que même après l’expiration du brevet, les autorités de santé ne peuvent pas approuver un générique en se basant sur les essais cliniques du laboratoire originel. Le fabricant de génériques doit refaire tout le travail, à ses frais. Cela ajoute 5 à 10 ans de monopole supplémentaires. Dans 85 % des accords de libre-échange signés par les États-Unis depuis 2000, ces clauses existent. C’est une façon de contourner les règles mondiales pour protéger les profits des laboratoires.
Les conséquences réelles : prix, délais, morts
Les chiffres ne mentent pas. En 2000, un traitement annuel contre le VIH coûtait 10 000 dollars par patient. En 2019, grâce à la concurrence des génériques dans les pays qui ont su contourner les brevets, il coûtait 75 dollars. Ce n’est pas un miracle. C’est le résultat d’une volonté politique - de la Thaïlande, de l’Inde, du Brésil - à utiliser les flexibilités du TRIPS.
Mais pour les pays qui n’ont pas osé ou n’ont pas pu le faire, les prix restent élevés. Les médicaments de deuxième ligne pour le VIH, par exemple, coûtent encore entre 300 et 600 dollars par an. Pour un pays pauvre, c’est une fortune. Le Fonds mondial a financé des traitements pour des millions de personnes, mais il ne peut pas tout payer. Et quand un nouveau médicament arrive - comme pour l’hépatite C ou le cancer - les brevets bloquent les génériques pendant 10 à 15 ans dans les pays en développement.
Selon l’OMS, entre 1975 et 1997, seulement 13 des 1 223 nouveaux médicaments développés étaient destinés aux maladies tropicales. Ce n’est pas un oubli. C’est un choix économique. Les laboratoires investissent là où ils peuvent faire du profit. Les génériques ne sont pas une menace pour l’innovation. Ils sont la seule solution pour que l’innovation serve les gens, pas seulement les actionnaires.
Le débat sur la waiver du COVID-19 : un changement possible ?
En octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé à l’OMC de suspendre temporairement les brevets pour les vaccins et traitements contre le COVID-19. Plus de 100 pays ont soutenu cette proposition. L’Union européenne, les États-Unis et la Suisse ont résisté. Leur argument ? Cela nuirait à l’innovation. Mais les données montrent le contraire : les vaccins à ARNm ont été financés à hauteur de 90 % par des fonds publics. Les brevets n’ont pas créé les vaccins. Les subventions publiques l’ont fait.
En juin 2022, un accord partiel a été trouvé. Il permet aux pays en développement de produire des vaccins contre le COVID-19 sans autorisation du titulaire du brevet, mais seulement pour les vaccins et seulement dans des conditions très limitées. Ce n’est pas une réforme du TRIPS. C’est une exception temporaire. Et elle ne s’applique pas aux traitements, ni aux diagnostics, ni aux autres maladies.
Le futur : qui décide de la santé publique ?
Le TRIPS n’est pas un texte sacré. Il a été écrit par des négociateurs en 1994, pas par des médecins ou des patients. Il peut être modifié. Le Médicines Patent Pool, créé en 2010, a déjà négocié des licences pour 26 médicaments, atteignant 17,4 millions de patients. Ce modèle montre qu’il est possible de concilier innovation et accès - mais seulement si les pays en développement ont la volonté de lutter pour leurs droits.
Les laboratoires affirment que les brevets sont nécessaires pour financer la recherche. Mais ils ne disent pas que 73 % des nouveaux médicaments approuvés depuis 2000 ont été développés dans des pays où les brevets sont déjà forts. Ce ne sont pas les brevets qui créent la recherche. Ce sont les subventions publiques, les universités, les chercheurs. Les brevets servent à monopoliser les profits.
Le vrai défi n’est pas technique. Il est politique. Faut-il laisser les brevets décider qui vit et qui meurt ? Ou faut-il que les systèmes de santé publique reprennent leur place ? La réponse n’est pas dans les traités. Elle est dans les rues, dans les parlements, dans les décisions des gouvernements.
Le TRIPS a été conçu pour protéger les intérêts des entreprises. Il n’a jamais été conçu pour protéger les vies. Et tant que les pays pauvres ne se réveilleront pas pour exiger leur droit à la santé, les génériques resteront une utopie pour des millions de personnes.
Qu’est-ce que le TRIPS et pourquoi est-il important pour les médicaments génériques ?
Le TRIPS est un accord international de l’OMC qui oblige tous les pays membres à protéger les brevets pharmaceutiques pendant 20 ans. Avant cet accord, de nombreux pays en développement autorisaient la production de médicaments génériques en utilisant des procédés différents. Le TRIPS a supprimé cette flexibilité, rendant plus difficile la fabrication de versions bon marché, même pour des médicaments essentiels comme ceux contre le VIH ou le cancer.
Les licences obligatoires permettent-elles vraiment de produire des génériques ?
Oui, mais avec des limites. Le TRIPS permet à un pays de délivrer une licence obligatoire pour produire un médicament breveté sans l’accord du laboratoire, à condition de payer une rémunération. Mais il impose que cette production soit utilisée « principalement pour le marché intérieur ». Cela empêche les pays sans usines pharmaceutiques d’importer des génériques fabriqués ailleurs, ce qui limite fortement l’efficacité de ce mécanisme.
Pourquoi les pays riches imposent-ils des clauses « TRIPS Plus » dans les accords commerciaux ?
Les clauses « TRIPS Plus » vont au-delà des exigences minimales de l’OMC. Elles imposent des exclusivités de données (5 à 10 ans), des prolongations de brevets, ou interdisent les licences obligatoires pour certaines maladies. Ces clauses sont négociées dans les accords bilatéraux (comme l’UE-Vietnam ou les accords de l’UE avec l’Afrique) pour prolonger les monopoles des laboratoires et retarder l’arrivée des génériques, même dans les pays pauvres.
Le mécanisme de la « solution du paragraphe 6 » a-t-il fonctionné ?
Très peu. Mis en place en 2007, ce mécanisme permettait à un pays sans production locale d’importer des génériques fabriqués sous licence obligatoire par un autre pays. Mais la procédure était si complexe - avec des documents, des notifications, des autorisations multiples - que seulement deux pays l’ont utilisé avant 2010. En 2016, un seul envoi de médicaments contre le paludisme a été réalisé. Ce mécanisme est théoriquement possible, mais pratiquement inutilisable.
Quel impact a eu le COVID-19 sur les débats autour du TRIPS ?
En 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud ont demandé une suspension temporaire des brevets pour les vaccins et traitements contre le COVID-19. Plus de 100 pays ont soutenu cette idée. L’UE, les États-Unis et la Suisse ont résisté. En juin 2022, un accord partiel a été trouvé : les pays en développement peuvent produire des vaccins sans autorisation, mais seulement pour les vaccins, et avec des conditions restrictives. Ce n’est pas une réforme du TRIPS, juste une exception limitée. Les traitements et diagnostics restent exclus.
Beat Steiner
3 12 25 / 10:04Je vois ce que tu veux dire… mais franchement, on peut pas juste attendre que les pays riches changent d’avis. Il faut que les pays du Sud s’organisent, créent des réseaux de production locale, et refusent de jouer le jeu. La santé n’est pas un luxe, c’est un droit.
Et oui, je sais, c’est plus facile à dire qu’à faire… mais on a déjà vu des victoires. La Thaïlande, l’Inde… ils ont osé. On peut le faire aussi.
Jonas Jatsch
3 12 25 / 19:10Je suis d’accord avec toi, mais je pense qu’on sous-estime un truc : les brevets, c’est pas juste une question de profit. C’est aussi une question de sécurité. Si n’importe qui peut copier un médicament, qui garantit que c’est pas du poison ? Qui vérifie la qualité ?
Je ne dis pas que les labos sont des saints, loin de là. Mais quand tu vois des génériques contrefaits qui tuent des gens en Afrique de l’Ouest… ça te fait réfléchir. Peut-être qu’au lieu de supprimer les brevets, on devrait investir dans des systèmes de contrôle indépendants, avec des normes internationales accessibles à tous. Pas juste du « faites comme vous voulez ».
La solution, ce n’est pas de brûler le système, c’est de le réformer avec des garde-fous. Sinon, on échange un monopole contre un chaos. Et les patients, eux, ils paient le prix.
Kate Orson
5 12 25 / 16:02HAHAHAHA. Donc on va croire que les labos sont des méchants et que les pays riches sont des voleurs ?
Et les Chinois ? Les Indiens ? Ils copient tout, ils ne payent rien, et ils vendent à prix d’or aux États-Unis. Qui paie les R&D alors ?
Si tu veux des médicaments gratuits, va vivre en Corée du Nord. Là-bas, ils ont tout… et personne ne meurt de cancer. 😏
Le TRIPS ? C’est le seul truc qui empêche les pays comme le tien de devenir un gigantesque atelier de contrefaçon. Tu veux la santé ? Paye. Sinon, arrête de te plaindre et va chercher des remèdes de grand-mère.
Angelique Reece
6 12 25 / 02:57Je suis française, j’ai grandi avec la Sécurité Sociale… mais j’ai vu ce que ça fait de ne pas avoir accès à un traitement. J’ai travaillé avec des ONG au Mali. Un gosse de 8 ans, malade du VIH, attendait un médicament depuis 18 mois.
Les brevets ? C’est un système qui a été inventé pour protéger les idées, pas les vies.
Et quand les pays du Nord disent « on ne peut pas faire de licences obligatoires », je me demande s’ils parlent de droit ou de peur de perdre leurs parts de marché.
On peut faire autrement. On a déjà fait autrement. Il suffit d’avoir le courage de le dire haut et fort.
Didier Djapa
6 12 25 / 21:33L’argument de la santé publique est légitime mais il ne peut pas annuler les principes fondamentaux du droit de la propriété intellectuelle. Le TRIPS a été négocié par des États souverains, pas par des multinationales. Les flexibilités existent, elles sont encadrées, et leur utilisation relève de la volonté politique nationale. Ce n’est pas un défaut du système, c’est un défi de gouvernance.
La solution réside dans la coopération internationale, pas dans la dénonciation symbolique. Il faut renforcer les capacités locales, investir dans la production régionale, et non pas détruire le cadre juridique qui protège aussi les innovations des pays en développement.
Guillaume Carret
7 12 25 / 03:11Oh putain encore un mec qui pense que les labos sont des anges avec des blouses blanches ?
Les brevets ? C’est une arnaque de 20 ans pour faire payer 100 000 € un traitement qui coûte 20 € à produire.
Et tu crois que les chercheurs ont besoin de ça pour bosser ? T’as vu combien de fois les vaccins ont été financés par l’État ? 90 % !
Les labos, ils prennent l’argent public, ils brevetent, ils font des bénéfices fous, et après ils disent « oh non, si on supprime les brevets, personne ne va plus faire de recherche ».
Leur recherche ? C’est celle des actionnaires. Pas des patients. Et je suis fatigué de jouer les idiots.
marielle martin
7 12 25 / 06:36Je me souviens quand mon père a eu le cancer… il a fallu qu’on vende la voiture pour payer le traitement. On a eu de la chance, on vivait en France.
Je pense à toutes ces mamans en Afrique qui regardent leur enfant se déliter et savent que le médicament existe… mais qu’il coûte 10 fois leur salaire mensuel.
Ça ne se passe pas dans un pays lointain. Ça se passe dans nos silences.
On parle de brevets, de TRIPS, de clauses… mais derrière chaque chiffre, il y a une vie qui s’éteint parce qu’on a choisi de protéger les profits avant les personnes.
Je pleure chaque fois que je lis ça. Et je me demande… quand est-ce qu’on va enfin choisir la vie ?